Nouveaux trafics ferroviaires de bois vers le Sud-Ouest

En raison d’un parasite, de nombreux arbres doivent être abattus dans les forêts du Grand Est. Des services ferroviaires ont été mis en place pour les acheminer vers des usines du Sud-Ouest afin de les valoriser.

Bois attaqué par des scolytes

Depuis quelques années, les forêts du Nord-Est de la France font face à la multiplication d’insectes parasites, les scolytes, qui s’attaquent aux arbres en creusant des galeries sous l’écorce. Pour cette raison et afin de limiter l’extension des dégâts causés par les scolytes, de très nombreux arbres doivent être abattus. Cela concerne, en particulier, les épicéas. En raison de leur dégradation et de la situation de forte surproduction, ces bois voient aussi leur valeur économique chuter et leurs débouchés se réduire. Pour le Grand Est, l’Office National des Forêts estime qu’environ 3,3 millions de m3 de bois ont été « déclassés » en 2020, dont 1,8 million de m³ d’épicéa.

Beaucoup d’arbres abîmés doivent donc trouver une valorisation. Or, les capacités de traitement des industries utilisant le bois comme ressource sont limitées et ne peuvent absorber, au niveau régional, l’ensemble des arbres abattus précocement. Leur stockage sur le long terme n’étant pas sans problème de place et de coût, la solution à privilégier est de les expédier en dehors de la région dans des usines ayant encore la capacité de les utiliser.

La région de la forêt des Landes, dans le Sud-Ouest de la France, dispose de tels sites industriels, qui plus est adaptés au traitement des résineux. Le groupe Smurfit Kappa possède, par exemple, une usine de production de papiers kraft pour emballages à Biganos, près d’Arcachon. Celle-ci a, d’ailleurs, fait l’objet d’un investissement visant à accroître sa capacité de production, la demande pour ces produits alternatifs aux plastiques d’emballage étant croissante. De plus, les forêts landaises ne peuvent être exploitées à leur pleine capacité pour alimenter ces sites de transformation, car elles doivent encore se régénérer suite aux tempêtes des années 2000.

Pour le transport des centaines de milliers d’arbres par an devant traverser la France depuis le Grand Est jusqu’aux Landes, le recours à un mode massifié est très avantageux par rapport à une solution classique par voie routière. Il s’agit de marchandises pondéreuses à faible valeur. Pour celles-ci, le coût du transport par la route sur de telles distances est supérieur à leur valeur marchande. S’y ajoutent aussi les problématiques de capacité des transporteurs routiers à assurer de telles prestations (véhicules spécifiques, conducteurs) et celles d’encombrement et de pollution. Le mode ferroviaire permet, au contraire, de réduire les moyens à mobiliser, les coûts et les nuisances, en massifiant les flux. Un seul train transportant 1 800 tonnes de bois représente à lui seul une cinquantaine de poids lourds.

 

Faisant ce constat, les exploitants forestiers et les industriels ont su travailler avec SNCF Réseau et les entreprises ferroviaires pour mettre en place des circuits logistiques s’appuyant sur le mode ferroviaire pour l’acheminement des bois scolytés.

 

En 2019, le transporteur ferroviaire VFLI, filiale du groupe SNCF aujourd’hui renommée Captrain France, a mis en place des liaisons ferroviaires régulières depuis le Grand Est à destination de l’usine Smurfit Kappa de Biganos. Pour cela, il s’appuie sur des cours de marchandises existantes mises par disposition par SNCF Réseau et qui étaient jusque-là peu utilisées.

En 2020, il a mis en place un « hub bois » au niveau de la gare de Lérouville, au nord de Commercy, dans la Meuse, sur la ligne de Paris à Strasbourg. L’entreprise y regroupe des wagons en provenance de plusieurs sites de l’Est de la France tels que Raon-l’Étape, au nord-est du département des Vosges ou Aillevillers, au nord de la Haute-Saône. À partir de trains plus courts, elle forme un train le plus long et lourd possible pour la partie principale du trajet jusqu’à la gare de Facture-Biganos et l’embranchement ferroviaire de l’usine Smufit Kappa. Cela lui permet de limiter les coûts et d’augmenter les fréquences par rapport à des trains directs en assurant, en moyenne, un aller-retour par semaine.

 

Plus au nord de la région, une autre plateforme de chargement a été mise en place pour le transport ferroviaire du bois scolyté. Elle est située sur le site de l’ancienne gare de triage de Lumes, près de Charleville-Mézières, sur l’artère Nord-Est. Avec la baisse des trafics au fil des ans, le site avait perdu son utilité logistique passée et servait de base travaux de l’Infrapôle Champagne-Ardenne pour l’entretien du réseau. Sa remise en service pour le fret a donc nécessité de réaliser des travaux de réhabilitation afin d’ouvrir le site aux trains commerciaux tout en organisant la cohabitation avec les besoins de la base de maintenance du réseau.

La décision d’intégrer le site de Lumes à l’offre du réseau a été prise par la Direction territoriale Grand Est de SNCF Réseau en réponse aux besoins exprimés de disposer, dans cette zone géographique, d’une plateforme rail-route pour le transport de bois. C’est au travers d’une collaboration étroite entre le Pôle clients et services de SNCF Réseau, l’Infrapôle, l’entreprise ferroviaire Captrain, l’ONF et l’industriel Smurfit Kappa que le choix s’est porté sur le site de Lumes et que sa réhabilitation dans un temps contraint a été possible.

Grâce à cela, le premier train chargé de bois opéré par Captrain a pu partir de la plateforme de Lumes début décembre 2020. Depuis, une navette par semaine est assurée par l’entreprise entre Lumes et l’usine de Biganos. Chaque train comprend jusqu’à une trentaine de wagons. Une part de transport routier demeure toutefois mais uniquement sur des distances limitées pour l’acheminement des grumes d’arbres abattus depuis les forêts des Ardennes, de la Marne et de la Meuse jusqu’au site de Lumes où un camion-grue les charge sur les wagons.

Même si c’est Captrain qui est le transporteur ferroviaire à l’origine de l’ouverture de la plateforme de Lumes, celle-ci est également accessible à ses concurrents. SNCF Réseau, dans son rôle de gestionnaire du réseau ferré national, doit garantir l’accès à ses équipements, de manière neutre et équitable, à l’ensemble des entreprises ferroviaires autorisées à opérer en France. C’est ainsi que deux autres transporteurs ferroviaires ont, eux aussi, déjà initié des flux à partir de Lumes. Regiorail, filiale du groupe d’origine belge Eurorail, assure depuis mars 2021 un trafic de bois scolytés à destination de l’usine de panneaux agglomérés du groupe Egger à Rion-des-Landes, près de Dax. Ce flux ferroviaire existait depuis novembre 2019, mais il était assuré depuis un quai de chargement situé à Verdun, à raison d’un train toutes les deux semaines. La plateforme de Lumes est également ouverte à d’autres types de marchandises : elle est ainsi aussi utilisée pour du transport de granulats par voie ferroviaire.

La situation géographique de cette nouvelle plateforme constitue l’un de ses principaux atouts. Elle est située au cœur des Ardennes et proche de plusieurs zones forestières majeures. Elle dispose d’une bonne accessibilité routière, l’autoroute A34 étant éloignée d’à peine à 4 km. Enfin, elle se situe sur un territoire où les infrastructures multimodales pour le transport de marchandises étaient relativement peu nombreuses.

 

Photos d’illustration : © SNCF Réseau, Office National des Forêts
Vidéo : © SNCF Réseau